E. Leclerc lance un indicateur qui mesure l'empreinte carbone des produits : "une initiative qui va dans le bon sens" selon François Gemenne

Tous les samedis, franceinfo décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
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Alors que l'observatoire européen Copernicus a annoncé jeudi 8 mai que le mois d'avril 2025 est le deuxième le mois d'avril le plus chaud jamais enregistré juste derrière le mois d'avril 2024, une étude publiée la veille révélait que les émissions de carbone des 10% les plus riches de la planète ont multiplié par deux ou trois les extrêmes de température depuis les années 1990. Pour mesurer son bilan carbone de nombreux outils existent comme la plateforme nosgestesclimat.fr, développée par l'Ademe (l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).
franceinfo : Les supermarchés E. Leclerc ont lancé le mois dernier un nouvel outil, le Carbon’Info, de quoi s'agit-il ?
François Gemenne : Il s'agit d'un nouvel indicateur à destination des consommateurs qui les informe de l’impact carbone des produits qui se trouvent en rayon, sur le modèle du NutriScore. Environ 6 000 produits sont concernés, pour l’instant ce sont les produits alimentaires de la marque distributeur mais on imagine volontiers que l’initiative sera amenée à s’étendre à d’autres produits, même si E. Leclerc risque de se heurter rapidement à un problème méthodologique : s’ils ne contrôlent pas l’ensemble de la chaîne de valeur d’un produit, ce n’est pas évident d’en mesurer le bilan carbone.
Mais n'est-ce pas tout de même une initiative à saluer ?
Bien sûr. Très clairement, c’est une initiative qui va dans le bon sens, et on sait que les distributeurs ont une très grande responsabilité dans l’orientation des choix de consommation. Donc il est très important qu’ils puissent valoriser les produits à faible empreinte carbone, et surtout qu’ils puissent fournir aux consommateurs une information qui leur permettra de faire leurs achats en connaissance de cause.
Je suis toujours frappé de notre méconnaissance de l’impact carbone de beaucoup de nos gestes de consommation.
François Gemenneà franceinfo
Par exemple, on imagine souvent que les biens importés ont une très lourde empreinte carbone, alors que le transport ne représente en moyenne que 15% du bilan carbone d’un produit : ce qui compte avant tout, ce sont les conditions de production. Ou alors, on imagine que l’empreinte carbone du numérique, ce sont avant tout les e-mails qu’on envoie, ou les data centers, alors que plus de la moitié de l’empreinte carbone du numérique, actuellement, ce sont les terminaux, c’est-à-dire les écrans, les téléphones, les ordinateurs. Et cela vaut aussi pour les biens alimentaires, naturellement : il existe de nombreux produits, comme le lait ou le fromage, dont on n’imagine pas toujours l’empreinte carbone. Ou alors on ne fait pas trop la différence entre le bœuf et le canard – à part au goût, bien entendu ! – alors que l’empreinte carbone du canard est dix fois inférieure à celle du bœuf. Tout ceci pour dire que tout ce qui peut informer nos choix de consommation est très important.
Cela suffit-il ? Les gens vont-ils vraiment se détourner des produits à forte empreinte carbone s’ils sont informés de leur score carbone ?
C’est là que cette initiative devient aussi une fascinante expérience de recherche ! Et en tant que chercheur, je serais vraiment très heureux de pouvoir connaître les résultats au bout d’un an. À prix équivalent, on peut imaginer qu’une partie des consommateurs choisiraient plutôt le produit avec la plus faible empreinte carbone – c’est aussi un effet de marketing, bien entendu. Et donc on peut imaginer que cela pousse aussi les producteurs à essayer d’améliorer leur bilan carbone, pour éviter des perdre des consommateurs, ou pour en gagner de nouveaux. Mais ce qui va être déterminant, bien entendu, c’est le prix.
Jusqu’ici, les études montrent plutôt qu’une partie croissante des consommateurs sont prêts à payer un peu plus cher pour des produits plus respectueux de l’environnement.
François Gemennefranceinfo
Cela varie beaucoup selon les tranches d’âges des consommateurs, leur niveau de revenus et le secteur des produits considérés, mais certaines études estiment que les consommateurs accepteraient de payer un surcoût qui pourrait aller jusqu’à 25% pour certains produits – c’est considérable. Et on imagine bien que E. Leclerc a aussi vu ces études, notamment celles qui montrent que les consommateurs souhaitent être davantage informés sur le bilan carbone des produits qu’ils achètent, et sont même prêts à payer un peu plus cher pour cela. Donc les supermarchés E. Leclerc trouvent aussi leur compte dans l’initiative et tant mieux pour eux.
Peut-on aller plus loin ?
Je crois qu'il faut absolument faire en sorte qu’on ait intérêt à réduire son empreinte carbone. Donc si les supermarchés E. Leclerc gagnent aussi des clients grâce à cette initiative, tant mieux ! Parce que cela poussera les autres distributeurs à les imiter. Mais le vrai sujet, bien entendu, c’est de comprendre comment on pourrait faire en sorte que les produits à faible empreinte carbone coûtent moins cher que les produits très carbonés. Parce que pour le moment, c’est plutôt l’inverse : il y a énormément de produits très carbonés qui coûtent beaucoup moins cher que leur équivalent à faible empreinte carbone, parce que pour le moment, l’impact environnemental de la production des produits n’est absolument pas intégré dans le prix qu’on paie à la caisse. Et ça, c’est un énorme levier à activer, mais on en reparlera !
Francetvinfo