« Montrer l’arrière-cuisine » : le prix Goncourt Pierre Lemaitre en conférence dans un lycée de Périgueux

Le romancier récompensé pour « Au revoir là-haut », aujourd’hui installé à Champcevinel, est venu échanger avec des étudiants et des lycéens. Un jeu de questions-réponses passionnant pour les participants
Dans une salle bondée d’étudiants en khâgne et hypokhâgne, l’arrivée de Pierre Lemaitre produit le même effet que celle de Zinédine Zidane dans les vestiaires d’une école de football ou de la cheffe Hélène Darroze dans une cuisine fourmillante de marmitons. Ce subtil mélange de respect, d’effervescence et de curiosité atteint son paroxysme lorsque l’invité entre dans la chapelle de la cité scolaire Bertran-de-Born de Périgueux (Dordogne), lundi 12 mai. Le romancier est ponctuel. « Je suis le régional de l’étape », s’amuse le septuagénaire, aujourd’hui installé à Champcevinel.

Philippe Greiller
Plus d’une centaine de jeunes ont été conviés pour l’occasion ; ils viennent des lycées Laure-Gatet, Jay-de-Beaufort et Bertran-de-Born, rejoignant ainsi le contingent des étudiants. « Cela fait trois ans que je voulais le faire venir, savoure Yann Lisoie, professeur de lettres. C’est un romancier populaire au sens noble du terme, il a ce talent de s’adresser à tous les publics. » Assertion validée par le principal intéressé : « Je fuis les grandes phrases, je n’aime pas les effets de manche. Je ne crois pas au style, je crois à la sobriété. »
Toujours le même livreFacile à lire - « un style faussement oral réduit la distance » -, Pierre Lemaitre l’est encore plus à écouter. Le lauréat du prix Goncourt 2013 ne met pas plus de cinq minutes à capter son auditoire. Le propos est clair et teinté d’humour. Le romancier résume avec malice : « Je vais essayer de ne pas être aussi ennuyeux que vos professeurs. » Alternant les citations de Georges Simenon, Louis Aragon et même d’Eddy Mitchell, le romancier dévoile à ces littéraires toutes ses recettes. « Je veux leur montrer l’arrière-cuisine, c’est ce qui est intéressant. Ce qui fait la différence, c’est le travail. Je suis un névrosé de la structure. Je ne crois pas en l’inspiration mais en la transpiration. »
« Je suis un névrosé de la structure. Je ne crois pas en l’inspiration mais en la transpiration. »
Les étudiants ont consciencieusement préparé l’entretien, axant la plupart de leurs questions sur la tétralogie « Les Années glorieuses ». « Un grand écrivain, c’est quelqu’un qui écrit toujours le même livre », philosophe Pierre Lemaitre. La discussion se fait plus intéressante dès lors qu’elle est spontanée. « Ces jeunes lisent et savent lire », glisse l’écrivain en aparté. Il repense notamment à la pertinence des questions posées par une étudiante, Émilie. Cette dernière confie : « Quand il écrit, on a l’impression de l’avoir à côté de nous. »
CésarNaturellement, le succès critique et commercial du livre « Au revoir là-haut » s’immisce dans les débats. « Je me suis posé la question de savoir s’il fallait faire une suite. ‘‘Le Fils d’Au revoir là-haut’’ ? ‘‘Au revoir là-haut fait du ski’’ ? », s’amuse Pierre Lemaitre. Il revient sur la genèse de l’histoire. « Ce livre, au départ, c’est un roman raté. Je voulais faire un roman policier historique mais au bout de 120 pages, je me suis rendu compte que je n’étais qu’au début car ce style nécessite beaucoup de contraintes. En tant que polar, c’était nullissime. Et puis, j’ai décidé de ne plus me poser la question de la catégorie. J’étais un prisonnier libéré, ça a été la jubilation totale. »
Le livre, auréolé du prix Goncourt, a été adapté au cinéma par Albert Dupontel, Pierre Lemaitre étant crédité au générique. « Je n’ai rien foutu mais ils m’ont donné un César pour l’adaptation. Albert avait simplement besoin d’un sparring-partner pour confronter ses idées, c’est un grand artiste. » Son succès ? Le romancier l’explique par « des personnages puissants ». Il indique aux plus fervents, captivés pendant plus de trois heures : « Quand je pense à la capacité conceptuelle qu’avaient Dumas, Zola… Moi, je suis incapable de voir si loin, j’ai un livre d’avance. Je mets environ dix-huit mois pour l’écrire. »
Une fois la structure posée, celui qui n’est « pas écrivain mais romancier » laisse son imagination prendre le dessus. « Les fictions sont des explications du monde […]. Je n’ai jamais eu le syndrome de la page blanche, je cherche au contraire la jubilation. » Son plaisir ? « Mettre le lecteur dans une situation inconfortable, en lui permettant notamment de s’identifier positivement à un personnage monstrueux […]. Car mon rôle, c’est de fabriquer des émotions », souffle Lemaitre aux élèves.
Prochain livre Après « Le Grand Monde », « Le Silence et la colère » et « Un avenir radieux », le dernier livre de la tétralogie « Les Années sombres » de Pierre Lemaitre sortira au mois de janvier 2026. « Pour l’instant, il n’a pas de titre, précise le romancier. Mon éditeur n’a pas voulu du mien. »SudOuest