Réduire les dépenses fiscales : une stratégie qui pourrait se retourner contre le pays

Impôts, entreprises et économie
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Face à l'urgence budgétaire à laquelle la Colombie est confrontée, le gouvernement national a indiqué qu'une partie de l'ajustement se fera par une réduction des dépenses fiscales, c'est-à-dire par la suppression progressive des exonérations, des taux réduits et des prestations spéciales qui érodent l'assiette fiscale. L'objectif est de générer des ressources supplémentaires pour atténuer la crise de trésorerie que traverse le pays depuis des mois.
Cependant, une analyse récente du Centre d’études économiques Anif soutient que ce qui pourrait ressembler à une politique d’efficacité budgétaire est en fait une mesure à haut risque politique et social si elle n’est pas mise en œuvre avec une stratégie appropriée, qui tienne compte du risque de pénurie de ressources à combler.
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Dans le document intitulé « Réduire les dépenses fiscales implique une augmentation des impôts : est-ce viable à court terme ? », cette équipe soutient que le démantèlement des exonérations n'est pas une simple correction technique du système fiscal, car en pratique, cela signifie augmenter les impôts, en particulier sur les ménages les plus vulnérables, s'il n'est pas accompagné de mécanismes de compensation sociale ciblés et à fort impact.
C'est pourquoi le groupe de réflexion estime que cette stratégie se heurte non seulement à des limites institutionnelles, mais aussi à un coût politique énorme. Il souligne que les dépenses fiscales en Colombie restent élevées, atteignant 135,4 milliards de dollars en 2023, soit 8,5 % du PIB.
« Sur ce chiffre, la plus grande partie correspond à la TVA, avec une dépense estimée à 5,6 % du PIB. Plus précisément, les biens et services exclus de la taxe représentent un déficit budgétaire de 4,3 points de pourcentage du PIB. Le reste est réparti entre les avantages fiscaux accordés aux personnes physiques et morales », ont-ils précisé.

Impôts et dépenses en Colombie.
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Une comparaison régionale renforce cet avertissement et montre que, selon les données du Centre interaméricain des administrations fiscales (CIAT), la Colombie a historiquement eu les dépenses de TVA les plus élevées d'Amérique latine et que, malgré les récentes réformes fiscales, cette tendance persiste, limitant la capacité de collecte de l'État sans mettre en œuvre d'augmentations générales des taux d'imposition.
Or, considérant que la logique du gouvernement est de combler cet écart, dans son cadre budgétaire à moyen terme 2025, le ministère des Finances prévoit d’augmenter les recettes de 19,6 billions de dollars à partir de 2026, principalement grâce à une nouvelle réforme fiscale qui permettrait de remédier à certaines de ces exonérations.
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L'ANIF estime toutefois que ces objectifs sont irréalistes s'ils reposent uniquement sur des mesures symboliques ou difficiles à mettre en œuvre, comme la taxation des églises ou la suppression des exonérations pour les biens sensibles.
Au-delà des chiffres, le cœur du débat est social. La suppression des avantages fiscaux, notamment ceux qui excluent actuellement les produits de première nécessité de la TVA ou réduisent les loyers pour certains groupes, pourrait affecter directement des millions de ménages qui peinent actuellement à subvenir à leurs besoins essentiels. Sans une politique de compensation claire, l'impact régressif de ces mesures pourrait exacerber les inégalités », ont-ils déclaré.

Subventions et impôts.
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C'est pourquoi le rapport souligne que « supprimer les prestations sociales sans stratégie sociale solide revient, en substance, à transférer la charge fiscale sur les plus pauvres », et soutient que la solution ne consiste pas à stopper la réduction des dépenses fiscales, mais à concevoir des mécanismes de redistribution modernes, efficaces et progressifs. Autrement dit, l'État devrait anticiper ce phénomène grâce à des technologies permettant de cibler les transferts, comme c'est le cas avec le système de remboursement de la TVA, mais avec une couverture plus large et une bureaucratie réduite. Le groupe de réflexion note également qu'en 2021, une réforme structurelle a été tentée, proposant d'élargir l'assiette de la TVA et de supprimer les exonérations, compensant ainsi les ménages à faibles revenus. Cependant, le manque de soutien politique et le rejet de l'opinion publique ont fait échouer cette tentative, démontrant que ce type de réformes requiert non seulement des fondements techniques, mais aussi un consensus social et une légitimité politique.
Dans ce contexte, l'Anif propose de repenser le discours et de prendre en compte qu'il ne s'agit pas seulement de collecter davantage de recettes, mais de construire un système plus juste et plus durable. Pour y parvenir, le pays a besoin d'un vaste pacte budgétaire combinant une plus grande efficacité des dépenses publiques, une fiscalité progressive et des stratégies claires pour protéger les populations les plus vulnérables. L'Anif souligne qu'en l'absence de soutien politique et de mesures d'atténuation efficaces, la réduction des dépenses fiscales pourrait se transformer en bombe à retardement sociale.
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