Le plan du Palais est une chose, le récit du peuple en est une autre : ce plan fonctionnera-t-il ?

Ayant largement perdu le soutien des masses populaires dans les urnes, le gouvernement du Palais a usé de tous les stratagèmes pour se maintenir au pouvoir. Délaissant depuis longtemps la rhétorique de la « volonté nationale », il tente de consolider son pouvoir politique par la force judiciaire et, si nécessaire, par des motivations inavouées. Parfois, tandis que le discours sur la paix et la démocratie insuffle un espoir, la force judiciaire peut simultanément anéantir l'opposition. Aussi contradictoires que cela puisse paraître, toutes ces manœuvres n'ont d'autre but que de se maintenir au pouvoir, d'écraser la résistance sociale populaire par la force politique. Dans cette optique, examinons les stratégies mises en œuvre depuis l'année dernière et les manœuvres potentielles pour la période à venir.
• DÉMONTEZ L'OPPOSITIONPour les partenaires du régime, la fragmentation de l'opposition est un enjeu crucial. Depuis le référendum présidentiel de 2017, la cohésion du camp d'opposition – qu'il forme ou non des alliances formelles – est déterminante. L'influence unificatrice du camp du « non » lors du référendum s'est ensuite étendue aux élections d'Istanbul de 2019, puis aux élections locales du 31 mars. Avec le remodelage du Moyen-Orient opéré par les États-Unis et Trump, le nouveau processus de « solution » mis en place au niveau national est devenu un outil essentiel pour fragmenter l'opposition. À présent, l'opposition se retrouve prise en étau entre ceux qui soutiennent le processus et ceux qui s'y opposent, plutôt que de s'opposer directement au régime. Le CHP est ainsi contraint de prendre en étau entre le mouvement kurde et le camp nationaliste qui s'oppose farouchement au processus.
• OBTENIR UNE LÉGITIME DE L'EXTÉRIEURQu’il s’agisse du rôle qu’ils ont joué dans la redéfinition du Moyen-Orient ou de la posture d’Erdoğan auprès de Trump à la Maison-Blanche, assortie de certains privilèges, ils ont accompli presque tout ce que nous avons dit jusqu’ici. Alors que Trump faisait l’éloge d’Erdoğan, l’ambassadeur américain à Ankara et représentant spécial pour la Syrie, Barrack, avait déjà déclaré : « Nous leur donnons la légitimité qu’ils recherchent. » Le consentement qui ne peut être obtenu au niveau national est recherché auprès des puissances mondiales.
• AMÉLIORER LES RELATIONS AVEC L'OCCIDENTOn a spéculé qu'Erdoğan, qui a félicité le nouveau président à l'issue des élections à Chypre du Nord, contrairement à son partenaire Bahçeli, aurait pu voir dans une administration plus conciliante une opportunité d'améliorer les relations avec l'Occident. Par ailleurs, l'acquisition d'avions de combat Eurofighter figurerait parmi les points à l'ordre du jour de la visite du chancelier allemand Merz en Turquie aujourd'hui, à l'invitation d'Erdoğan. Un accord a également été signé avec le Premier ministre britannique, qui s'est récemment rendu à Ankara, pour l'achat de 20 Eurofighters. Ces accords visent à favoriser une relation mutuellement avantageuse avec l'Occident.
• RASSEMBLEZ LA BONNE OPPOSITION À VOTRE CÔTÉLa présence d'Erdoğan et de certains partis d'opposition à la réception organisée le soir de l'ouverture du Parlement, le 1er octobre, a suscité de vives critiques. Il est à noter qu'Ahmet Davutoğlu et Ali Babacan, suite à la polémique, se sont livrés pendant plusieurs jours à une joute verbale acerbe contre le CHP. Babacan et Davutoğlu ont pris pour cible l'opposition dans la quasi-totalité de leurs déclarations, en particulier au cours du mois écoulé. Si les deux dirigeants cherchent à rallier l'électorat de l'AKP, Erdoğan aura également besoin du soutien de Babacan et Davutoğlu pour obtenir les 360 sièges nécessaires à sa réélection.
• FAIRE PREUVE DE LA JUSTICEL'arrestation d'İmamoğlu et de Merdan Yanardağ dans l'affaire d'espionnage, la nomination d'un administrateur pour TELE 1 et le transfert de la municipalité de Bayrampaşa sous le contrôle de l'AKP ont constitué les points les plus importants de l'actualité ces derniers jours. Il semble que la politique de répression , menée sans relâche depuis le 19 mars, se poursuive sans relâche et que le CHP soit constamment sur la défensive. Il ne faut pas oublier que les bandes masquées et armées de machettes qui ont affronté les étudiants d'Hacettepe visaient également à intimider toute réaction organisée et toute opposition sociale qui pourrait émerger des universités. La clé de la résistance du 19 mars résidait dans les étudiants de l'Université d'Istanbul qui ont forcé les barrages policiers dès le premier jour.
• CACHEZ LE COMBAT À L'INTÉRIEURLes tensions entre le bloc au pouvoir et des acteurs influents, relayées par les médias, font l'objet de nombreux débats depuis longtemps. Ces tensions, qui ne se limitaient pas aux luttes de pouvoir au sein des différentes sphères gouvernementales, ont notamment porté sur la préparation de l'ère post-Erdoğan. De nombreux noms ont été évoqués, d'Hakan Fidan au fils d'Erdoğan, Bilal, en passant par les gendres et İbrahim Kalın. Les déclarations d'Hakan Fidan concernant les avions de combat Kaan et les propos tenus par un journaliste de CNN à la Maison Blanche, captés par les caméras, illustrent ce conflit. Enfin, les démissions successives et les allégations de limogeage au sein de la branche stambouliote de l'AKP ont engendré une nouvelle crise. Les présidents des districts de Küçükçekmece et de Bağcılar ont annoncé leur démission, tandis que des sources proches du gouvernement affirment que ces deux personnes, ainsi que le président du district de Büyükçekmece, ont été limogées par Abdullah Özdemir, président provincial de l'AKP. Des tensions avec Bahçeli pourraient également expliquer ces événements. Malgré tout, la priorité du bloc au pouvoir est d'assurer la survie du régime. Même si cela s'avère difficile, Erdoğan s'efforcera de maintenir l'image d'une structure unifiée en dissimulant les conflits internes.
• ÉTABLISSEZ VOTRE PROPRE AGENDASans aucun doute, l'un des plus grands atouts du gouvernement réside dans sa capacité à instrumentaliser systématiquement les manœuvres susmentionnées pour défendre l'opposition. De l'aggravation de la pauvreté aux négociations sur le salaire minimum, en passant par les chiffres du chômage et de l'inflation, le gouvernement est parvenu à occulter les problèmes les plus urgents des citoyens. La politique s'est cantonnée à la question identitaire, un domaine où le gouvernement excelle. En maintenant constamment l'opposition sur la défensive, le gouvernement refuse de s'attaquer aux véritables préoccupations des citoyens.
Enfin, si l'administration du Palais a excellé dans l'art de la manipulation, les voix qui s'élèvent de la base dressent un tout autre tableau. Quelles que soient les initiatives du gouvernement, le public se détourne immédiatement de quiconque fait des compromis avec le régime. L'histoire récente regorge de personnalités qui, d'Akşener à Kılıçdaroğlu, ont épuisé leur potentiel politique. Il est crucial que toutes les forces d'opposition reconnaissent l'opposition populaire au régime et prennent position.
BirGün




